mardi 21 janvier 2014

Couleur sucrée (2) L’Amérique du sud et l’intime. Chronique de Daniel Valiquette



Je reviens d’un bref voyage au Chili, ce mois d’octobre dernier. Je ne savais pas grand chose de ce pays et je n’étais pas convaincue de vouloir en apprendre davantage. Ça me semblait lointain et de plus, les événements politiques de 1973, Allende et le coup d’État du général Pinochet, qui ont fait connaître le pays et sa dictature au monde entier, n’étaient pas du genre à m’inspirer le voyage. Mais bon, on sait ce qu’il en est, j’ai fait une rencontre et puis paf… me voilà sur le vol 092, Toronto/Santiago. Un vol d’une durée de dix heures et puis apparaissent les Andes, au creux desquelles je me blottirai trois semaines.
Là-bas, je tenais absolument à visiter le Musée de la Mémoire et des Droits de l’homme, promu et inauguré en 2010 par le gouvernement socialiste de Michelle Bachelet. Visite touchante; photos des personnes disparues, vidéo de l’attaque du palais présidentiel (La Moneda) par l’armée de l’air, et puis notes et témoignages des familles des disparus et des victimes elles-mêmes.
La parole, bien plus que les chiliens eux-mêmes, a été l’objet de mon attention dans les rues de Santiago. Je me demandais ce qu’il pouvait en être de l’expression populaire suite à cette profonde blessure, 40 années maintenant. Est-il encore possible de manifester ? Est-il possible de porter une parole de contestation ? Les manifestations sont elles réprimées, comme on l’a vu avec les étudiants, qui peinent à payer et poursuivent leurs études dans les innombrables universités privées du pays ? Beaucoup de policier dans les rues, véhicules verts avec pompe à arroser les manifestants. Ils y sont toujours.
Malgré le fait que j’eu été de passage seulement, j’ai pu constater que de nombreuses manifestations ont pu avoir lieu. Que des banderoles portant des messages, des requêtes ont été affichées sur les ponts traversant la rivière Mapocho qui baigne au cœur de la ville. Certaines personnes pensent que la démocratie là-bas, est une chose fragile.
Je sais qu’il existe à Santiago un organisme de défense des droits des personnes LGBT (MOVILH). J’ai vu que la société civile et que les médias ont recours à eux lorsque des événements touchants les personnes LGBT ont lieu. Ils font parties de ‘panels’ dans lesquels ont peut les entendre à la télé locale. La parole est donc vivante. Bien entendu,
la société chilienne présente les traits de la culture latine, machiste et conservatrice, peut-être la plus conservatrice de l’Amérique du sud. Ceci dit, on avance là aussi.
Mais comme je l’affirmais dans un précédent texte sur Yaoudé, Cameroun, le courant actuel est à l’effet du respect de plus en plus étendu des droits de l’Homme partout dans le monde sauf l’Afrique, au su des événements récents en Ouganda et au Sénégal (criminalisation de l’homosexualité). Bien sûr, certaines sociétés résistent, on l’a vu en France, on le déplore en Russie comme dans certains pays slaves, pareil qu’en Italie, car ces sociétés voient venir le mouvement d’ouverture très appuyé en occident et ils ont peurs, il ne faut pas nous décourager.
D’ailleurs, Mme Bachelet réélue en décembre à la présidence du Chili annonçait dans son programme électoral qu’elle allait se pencher sur une loi reconnaissant le mariage entre personnes de même sexe. Le sénat a reconnu pour le moment le droit à l’union civile et il y a d’autres étapes avant sa reconnaissance totale et définitive. Qu’en sera-t-il finalement ? Nous ne le savons pas. Mais n’est-il pas positif, n’est-il pas un progrès que d’entendre les politiciens de ces pays lointains reprendre le chant qui fait échos à nos droits partout sur cette terre. Bientôt nous serons plus nombreux à pouvoir nous aimer dans les rues, sans risques et sans discriminations. Si les gais (es) sont encore dans leur placard au Chili, il est évident que les personnes âgées LGBT sont pour la plupart encore devant leurs écrans de télé. Il faudra encore plus de temps. Mais ceci viendra, sachons-le. Ça bouge en Amérique du sud.
Assis sur un banc devant el Museo Nacional de bellas artes de Santiago, j’attendais mon petit ours des Andes. Un chilien assis près de moi me faisait la conversation et j’ai vite compris qu’il me courtisait. Personne, peu importe où il vive en ce monde, ne pourra empêcher la parole et les sentiments d’un homme vis-à-vis un autre homme, ni d’une femme vis-à-vis une autre femme. C’est la force de notre condition, l’intime.

Chile, pensez-y !