dimanche 9 septembre 2012

Homophobie d’Etat au Québec et au Canada : Repères historiques 1/3



L’homophobie d’État est celle qui par les lois ou le manque de celles-ci discrimine les homosexuels.
Nous pouvons estimer aujourd’hui que Le Canada est l’un des rares pays au monde où l’homophobie d’État est nulle. Évidement, il n’a pas toujours été ainsi. Il me semble intéressant de jeter un regard en arrière pour mieux comprendre l’évolution des lois au Canada qui ont permit aux homosexuels d’avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que le reste de la population.
Il est bien triste de constater que l’homophobie vécue dans la société canadienne dans les rapports entre individus est loin d’avoir disparu sans compter que certaines lois continuent d’être bafouées.
Il est important aussi de se rappeler qu’un changement de gouvernement suffit pour remettre en cause certaines de ces lois pour lesquelles nos ainées se sont battus.
Voici, donc un petit historique tiré de 4 documents différents et que je vous propose en 3 volets.
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Ressources : Selon les couleurs du texte
  •  La répression des homosexuels au Québec et en France. Du boucher à la Mairie de Patrice Corriveau. Éditions du Septentrion, (2007)

  • Rappel historique de la condition homosexuelle. Centrale des syndicats du Québec. Comité des droits et des lesbiennes. 
http://lacsq.org/fileadmin/CSQ/Internet/documents/portail_csq/documentation/enjeux_sociaux/diversite_sexuelle/rappel_historique_condition_homosexuelle.pdf

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1/3  Du 13ème siècle à la révolution tranquille

Avant le 13e siècle
L’Église catholique romaine bénit et célèbre les unions entre personnes de même sexe en Europe.
Les prêtres peuvent s’unir à un conjoint de même sexe sans que cela crée un scandale. Avec les épidémies de peste qui sévissent en Europe au cours du XIIIe siècle, l’Église catholique de même que la classe marchande vont prôner le repeuplement de l’Europe. Cet évènement conjugué à la naissance du protestantisme, qui menace le pouvoir de l’église, va contribuer à la transformation de la doctrine catholique en matière de sexualité. À partir de ce moment, l’Église catholique romaine considérera toutes pratiques sexuelles qui ne mènent pas à la procréation et qui s’exercent hors des liens du mariage comme un péché mortel. La contraception, la masturbation, l’homosexualité, pour n’en nommer que quelques-uns, seront dès lors et jusqu’à présent considérées comme des péchés mortels (1).

19e siècle
Le gouvernement canadien criminalise les relations sexuelles entre les personnes de même sexe, même si elles étaient vécues de manière consensuelle dans l’intimité du foyer. En 1841, le Code criminel impose la peine de mort pour ce crime, et par la suite, une sanction d’incarcération à vie jusqu’en 1954 (2). Dès la fondation du Canada, en 1867, la sodomie est interdite et, en 1890, sous l’influence de la législation britannique, le Code criminel canadien interdit les actes de « grossière indécence » entre individus de sexe masculin (ce n’est qu’à partir de 1953 que la même accusation pourra s’appliquer aux lesbiennes)(3).

De 1930 et 1950
Les homosexuels sont inculpés surtout pour grossière indécence dans les endroits publics

De 1930 à 1939
les statistiques des Annuaires du Québec laissent par ailleurs entrevoir une forte recrudescence des accusations et des condamnations pour sodomie et bestialité au Québec. D’une moyenne annuelle de sept condamnations au Canada au début du siècle, la moyenne annuelle provinciale oscille autour de quarante condamnations dans les années 1930
Robert Demers  (1984, p. 794) attribue cette recrudescence des condamnations à l’augmentation de la population canadienne ainsi qu’à l’augmentation des poursuites intentées en vertu de la loi sur la grossière indécence entre adultes consentants et dans le privé.

1930
29 condamnations pour sodomie au Québec

1931
20 condamnations pour sodomie au Québec

1932
31 condamnations pour sodomie au Québec

1933
44 condamnations pour sodomie au Québec

1934
25 condamnations pour sodomie au Québec

1935
25 condamnations pour sodomie au Québec

1936
65 condamnations pour sodomie au Québec

1937
56 condamnations pour sodomie au Québec

1938
66 condamnations pour sodomie au Québec

1939
34 condamnations pour sodomie au Québec

1946
113 condamnations pour sodomie au Québec

1947
70 condamnations pour sodomie au Québec

1948
En 1948, le célèbre Rapport Kinsey montre que 37 % des hommes états-uniens entre 16 et 55 ans ont eu au moins un rapport homosexuel ayant conduit à l’orgasme et qu’environ 50 % d’entre eux ont déjà éprouvé un attrait sexuel pour un autre homme. Paradoxalement, s’il conduit à une «normalisation» du phénomène  homosexuel, le Rapport Kinsey sert aussi les intérêts de ceux qui s’attachent à lutter contre ce type de comportement sexuel.

1949
55 condamnations pour sodomie au Québec

De 1950 à 1959
Influencé par cette montée du discours médical dans la société, le système pénal canadien voit la science thérapeutique se développer à toute vitesse à partir des années 1950.
Un véritable climat de censure sociale s’installe autour de la question homosexuelle, devenue un tabou généralisé. Taire le sujet pour le rendre invisible, telle est désormais la consigne des médias. Il faut éviter que les homosexuels se reconnaissent entre eux. Cette censure médiatique existe depuis la fin du XIXe siècle, l’Église contrôlant la diffusion des publications qui traitent de l’homosexualité.
Benoît Migneault (2001, p.4), de la Division des revues, journaux et publications gouvernementales du gouvernement du Québec, constate que les publications s’adressant aux homosexuelles restent de nature criminelle jusqu’à l’adoption du bill Omnibus en 1969. Lorsque les journaux abordent la question de l’homosexualité, c’est de façon unilatérale : négativement. L’homosexuel y est souvent décrit comme un monstre violeur d’enfants ou un travesti.
Tant la presse à grand tirage, la presse à sensation que les romans populaires renforcent les stéréotypes à l’égard de l’homosexuel, notamment «ceux de l’homosexuel pédophile et de la lesbienne séductrice de pauvres innocentes ». Ainsi la presse écrite se nourrit et nourrit à son tour la panique sociale à l’égard de l’homosexualité.
D’après l’étude de Benoît Migneault  (2001, p. 5)  sur les 157 articles à thématique homosexuelle entre 1952 et 1970, 25 % relèvent d’affaires criminelles, 41 % d’affaires de mœurs et 34 % d’une compréhension de cette réalité.
Malgré ce climat de persécution et de censure qui perdure jusqu’au milieu des années 1960, la foulée industrielle de l’après-guerre favorise la commercialisation de tous les types de désirs sexuels. On assiste à la visibilité croissant de désir homosexuel. Les bars, les saunas et les lieux de rencontre pour gais, tous se multiplient. En contrepartie, une augmentation de la répression policière et judiciaire est observable.
Encore une fois, l’utilisation des statistiques pose problème. Le nombre des condamnations pour attentats à la pudeur sur un homme – seul crime exclusivement homo-érotique – n’est disponible que pour les années 1956 et 1957 : une seule accusation pour 1956 et 71 pour 1957. Cela s’explique par le fait que les statistiques des Annuaires du Québec n’incluent pas les condamnations par procédure sommaire, lesquelles constituent fort possiblement les cas les plus fréquents en matière de mœurs homo-érotiques car elles permettent d’éviter des peines sévères et la visibilité associée aux procès.
De 1946 à 1959, le nombre de personnes reconnues coupables de sodomie ou de bestialité s’élève à 1 162, c’est-à-dire une moyenne annuelle d’environ 90 condamnés. Avec une augmentation significative de la répression en 1954. De 97 condamnations en 1953, ce nombre augmente à 212 en 1954 et à 173 en 1955. Comment expliquer une telle augmentation du nombre de condamnations? Cette recrudescence statistique s’explique peut-être par la modification du Code criminel en 1954 en ce qui à trait à la sodomie. Cette législation diminue les peines encourues pour ce type de délits et ajoute les psychopathes sexuels dans la définition des criminels dangereux. Deux hypothèses viennent à l’esprit : soit les juges se permettent de punir davantage les accusés puisque les sentences sont moins sévères, soit ce changement légal apporte avec lui un intérêt renouvelé pour ce type de crime. Cette deuxième hypothèse paraît plus plausible car l’année 1954 correspond à une période de forte répression policière à Montréal.
Le cas de Montréal des années 1950 est instructif. Selon Luther A. Allen  (1998, p. 92) et Ross Higgins (1999), l’augmentation de la répression policière du milieu des années 1950 répond surtout à une demande de l’opinion publique et de la classe dirigeante restées favorables à une intervention plus massive à l’encontre des déviants sexuels. C’est dans ce climat d’indignation générale à l’égard de l’immoralité que Jean Drapeau est élu maire de Montréal en 1954. Il promet notamment de lutter contre ce fléau social qu’est l’homosexualité. Après son élection, le nombre d’arrestations et de descentes policières augmente de façon draconienne.
Le procureur en chef de Montréal, Jacques fournier, avoue lui-même que cette augmentation est due à la prise de «mesures nécessaires» pour se débarrasser des homosexuels dans le parc du Mont-Royal. La police montréalaise élabore alors des stratégies en vue de préserver l’ordre moral et social. Parmi celle-ci, Luther A. Allen (1998, p. 91-92) souligne l’utilisation de provocateurs pour piéger les homosexuels. Cela rappelle l’utilisation des «mouches» dans la France des XVIIe et XVIIIe siècle.
Plusieurs de ces arrestations s’effectuent en vertu du délit d’action indécente (art. 158a). Contrairement aux crimes de grossière indécence, qui se limite aux actes sexuels commis entre deux personnes du même sexe et de concert, ce crime n’oblige pas l’établissement d’une preuve entre les individus. Les peines prononcées sont relativement «légères», cela encourage également la majorité des accusés à plaider coupable. En plus d’obtenir une peine plus douce, généralement celle l’amende, ils évitent la publicité qui entoure les procès. Cette explication s’applique à la grande majorité des accusés de grossière indécence. Mieux vaut taire ce type de crime.
Cette répression policière se poursuit tout au long des années 1950 et 1960. John Swatsky  (1980, p. 126)  révèle que la Gendarmerie royale du Canada classifie spécifiquement les homosexuels afin de les surveiller plus attentivement.

1950
68 condamnations pour sodomie au Québec

1951
87 condamnations pour sodomie au Québec

1953
73 condamnations pour sodomie au Québec
Le gouvernement canadien adopte un amendement à la Loi canadienne sur l’immigration qui interdisait aux homosexuels étrangers d’entrer au Canada. Le parlement canadien ne lèvera cette interdiction qu’en 1977.

1954
97 condamnations pour sodomie au Québec

1955
173 condamnations pour sodomie au Québec

1956
135 condamnations pour sodomie au Québec

1957
117 condamnations pour sodomie au Québec

1958
68 condamnations pour sodomie au Québec

1959
104 condamnations pour sodomie au Québec



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